Le chemin de l’exil pour Teucer et Diomède
Teucer, frère cadet du grand Ajax et fils de Télamon, le roi de Salamine, était essentiellement un malchanceux. Pendant toute sa jeunesse, il avait vécu dans l’ombre de son frère aîné qui était le préféré de Télamon. Pendant la guerre de Troie, bien qu’il fût le meilleur archer de l’armée grecque, il n’avait jamais tenu les premiers rôles. La seule fois où il avait eu l’occasion de briller, en s’attaquant à Hector, il avait reçu le bouclier de son frère sur le dos, au moment où il allait lancer sa flèche ; depuis, il souffrait d’arthrose cervicale et ne pouvait plus tirer à l’arc. Tous ces déboires ne l’avaient pas empêché de faire toujours preuve, à l’égard de son frère Ajax, d’une affection et d’un dévouement sans bornes. C’est en particulier grâce à lui qu’Ajax, après son suicide, avait reçu les honneurs funèbres.
À sa grande surprise, son voyage de retour se passa bien et, en arrivant en vue de Salamine, il se prit à penser qu’enfin, pour lui, la chance allait peut-être tourner. Son père Télamon, comme chaque jour, était sur la plage, attendant le retour éventuel de ses fils. Teucer saute de son navire et court vers son père.
Sans même l’embrasser, Télamon lui demande anxieusement :
— Où est ton frère ?
— Il est mort, hélas ! répond Teucer.
— Quoi, reprend Télamon, hors de lui, tu n’as même pas été capable de le protéger ?
Et, sans vouloir écouter les explications de Teucer, il le chasse pour toujours de son pays.
Pour des raisons différentes, Diomède allait bientôt connaître un destin semblable[5].
Celui qu’on appelait le sanglier de Calydon s’était couvert de gloire au cours de la guerre de Troie, mais il s’était aussi attiré l’inimitié de deux grands dieux de l’Olympe : il avait eu l’audace de combattre Mars sur le champ de bataille et de le mettre en fuite ; et il avait irrité Jupiter en assassinant deux soldats troyens, malgré le serment qu’il leur avait fait de leur laisser la vie sauve. Lorsqu’il eut quitté Troie à la tête de sa flotte, Jupiter et Mars, pour une fois d’accord, allèrent trouver Neptune, le dieu de la mer, et lui demandèrent de déchaîner sur les navires de Diomède une violente tempête. Se voyant sur le point de couler, Diomède adressa une prière à Neptune :
— Si tu apaises la fureur des flots, je m’engage à t’offrir en sacrifice le premier être vivant que j’apercevrai sur les rivages de Calydon.
Diomède ne pensait pas courir un grand risque, car il savait que les plages de son pays étaient peuplées d’une multitude de chèvres sauvages et d’oiseaux aquatiques ; il était donc à peu près certain que ce serait l’un de ces animaux qu’il rencontrerait d’abord en débarquant. Neptune ayant accédé à sa prière, la mer se calma et Diomède put achever sa traversée sans histoire.
Malheureusement pour lui, lorsqu’il arriva en vue du rivage de Calydon, il faisait nuit et tous les animaux sauvages étaient endormis En revanche, comme il le faisait tous les soirs pour faciliter le retour attendu de son père, le propre fils de Diomède avait allumé sur la falaise un grand feu à côté duquel il se tenait debout. Aux lueurs des flammes, Diomède l’aperçut. Respectueux de son engagement, il dut sacrifier son propre fils à Neptune. Indignés par cet acte barbare, ses sujets se soulevèrent contre lui et le chassèrent de son royaume. Il s’exila en Italie, où il passa le reste de ses jours à maudire le Destin.